La Cornouaille est un pays magique où il arrive souvent aux animaux de parler et où chaque plante, chaque fleur, est sous la protection d'un korrigan.
Fripouille était l'un de ceux-là et s'occupait de la plus belle rose, selon lui évidemment, de la région. C'était une rose rouge pour laquelle il avait volé plusieurs rayons du soleil couchant avant de les lui offrir. Malheureusement rien n'est éternel et la fleur de Fripouille, comme toutes les autres fleurs, finit par se faner l'envoyant du même coup au bureau de reconversion des korrigans.
Comme il n'y avait rien pour lui en ce moment et qu'il craignait de « traverser la rue » pour trouver du travail à cause de tout ce qui s'y passait, le korrigan prit les chemins de traverse, longea la mer et arriva jusqu'à une petite maison en surplomb de la baie de Douarnenez.
Sur le seuil, une jeune fille pleurait.
Demeurant caché, Fripouille comprit petit à petit que le frère de cette dernière l'avait empêchée de voir le garçon dont elle était amoureuse parce qu'il était trop pauvre. Du coup, l'objet de son cœur était parti à la guerre tenter de faire fortune afin de revenir riche et la demander en mariage. Un courrier avec quelques affaires venait d'apprendre à la jeune fille qu'il ne reviendrait jamais.
Elle ne pouvait s'arrêter de pleurer.
Le korrigan attendit qu'elle rentre dans sa maison puis y pénétra à son tour la nuit venue. Il récupéra les quelques affaires revenues dans le colis, les fouilla et sembla y trouver quelque chose : une mèche de cheveux, qu'il posa au fond d'un pot et recouvrit de terre. Il émietta chaque motte consciencieusement avec ses petites mains et alla recueillir quelques larmes sur les joues de la jeune fille tandis qu'elle dormait, larmes qu'il versa ensuite sur la terre.
Il dissimula le pot dans la maison, allant recueillir chaque nuit des larmes sur les joues de la jeune « veuve avant d'être mariée » pour venir ensuite les verser sur la terre.
Cela dura des mois, tant la jeune fille semblait inconsolable.
Un jour une petite pousse verte sortit de terre que Fripouille chouchouta et cajola comme s'il s'agissait d'un de ses enfants. La petite pousse se fortifia, grandit, s'allongea et le korrigan continuait à prendre soin d'elle.
Finalement une rose rouge apparut, une rose bizarre en forme de cœur au parfum original de vétyver.
Le korrigan jugea que le temps était venu.
La nuit suivante, il sortit et replanta la fleur dans le jardin de la maison de la jeune fille inconsolable. Il susurra quelques mots à la lune dans le ciel et cette dernière fit venir des nuages qui arrosèrent copieusement la rose rouge d'une eau douce et tiède.
L'unique grandit et se ramifia sur tout un pan de mur.
Le lendemain matin, lorsque la jeune fille se leva, elle respira et sentit un parfum de vetyver qui était l'odeur préférée de son ancien amoureux. Cela la fit sourire et apaisa un peu son chagrin.
Dehors le soleil et les oiseaux qui chantaient l'invitaient à sortir et puis, elle voulait savoir d'où provenait cette odeur si chère à son cœur. Lorsqu'elle parut sur le seuil de sa maison, son regard fut attiré sur le côté par un énorme buisson de roses qui n'était pas là le jour d'avant.
Comme elle réalisait que l'odeur qu'elle aimait tant en provenait. Elle vit alors que le buisson formait le dessin du visage de son bien-aimé qui lui souriait.
Depuis chaque soir, elle passe une dernière fois devant le rosier odorant, prend de grandes respirations puis va se coucher le sourire aux lèvres et au cœur le souvenir du garçon qu'elle aimait tant et qui a su revenir près d'elle.