Qui parmi nous n'est pas un "homo duplex" ? Je veux parler de ceux dont l'esprit a été dès l'enfance "touched with pensiveness" ; toujours double, action et intention, rêve et réalité ; toujours l'un nuisant à l'autre, l'un usurpant la part de l'autre.....
Deuxième texte sur le thème de l'angoisse du Temps (daté de 1855) :
L'Ennemi
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé cà et là par de brillants soleils;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'on creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles dont je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?
Ô douleur! ô douleur Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie.
C.Baudelaire
Voici le troisième texte sur l'éminente préoccupation de Charles Baudelaire à propos de l'angoisse du Temps....un texte que nous vous suggérons (si ce n'est déjà fait) de découvrir à nouveau ......
L'Horloge
Dieu sinistre, effrayant, impassible.
Dont le doigt nous menace et nous dit : Souviens-toi!
Les vibrantes douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible......
Reportez-vous à vos manuels de poésie !!!
§§§
Pour l'essentiel de son analyse, en total désaccord avec René Laforgue (1) parce que freudien convaincu et tout aussi opposé sur le thème choisi identique quasiment en tous points par Jean-Paul Sartre, marxiste convaincu, qui dans son ouvrage en oublie jusqu'aux fondements de sa philosophie existentialiste pour parvenir aux mêmes conclusions que Laforgue, décretant "l'échec de Baudelaire" !
Qu'il nous soit permis ici de réfuter ces points de vue freudo-marxistes, développements peut-être savants en leur temps mais totalement dépassés aujourd'hui parce que la vocation de Baudelaire ne peut à elle seule se résumer par la faible explication d'un prétendu "complexe d'Oedipe".
(1) "L'échec de Baudelaire par René Laforgue -paru en 1931-
Le pauvre Oedipe, à l'heure qu'il est, doit être bien embarrassé de figurer malgré lui au creux des préoccupations de Baudelaire, en supposant que le rôle de la mère tant aimée si cruellement absente ait jamais gâché les nuits de son illustre rejeton seul dans sa soupente. Sauf erreur de notre part, aucun texte de la correspondance ne vient justifier un quelconque aveu marquant son désir d'entrer en sa chère mère, davantage qu'il n'est décemment autorisé.
Faute de preuves accablant le poète, renvoyons Oedipe dans le lit de Jocaste, Freud sur son divan cousu d'or, René Laforgue réviser ses notes et Sartre se laver les mains....(si toutefois nous le craignons, il n'est pas trop tard)....."Homme libre, toujours tu chériras la mer"......(et non pas la mère).....
Voyage au bout de l'ennui, car le maléfique ennui est un autre terme convenant à la définition de ce qu'il est évident de qualifier de "spleen". C'est au poète d'immortaliser le terme "spleen", tandis qu'aucun des mousquetaires audacieux de la récupération que nous venons d'évoquer n'a semble t-il compris que Baudelaire n'avait pas d'autre ambition que la sienne, hors tout système idéologique, à savoir, vivre viscéralement son ennui , et poétiser son quotidien.
Là où sa lucidité extrême amplifie la conscience aigüe de son orgueil, là où le chantre de l'ennui créateur compose, là est l'essentiel de son paysage intérieur.
L'ennui est aussi une jouissance, la jouissance est une science..La science du poète....Charles Baudelaire, jusqu'à son dernier souffle, est investi par la jouissance de l'immortel ennui.
A toi, poète dont nous entendons demeurer l'humble et fidèle élève.
fIN DE L'ARTICLE :
Charles et le sensorium
Textes étudiés : Une charogne - Remords posthumes - Le mort joyeux - Le voyage à Cythère.
Dernier chapitre : LE SENSORIUM BAUDELAIRIEN
Là où siègent sa perception d'une double conscience et d'une double vue, là où la noirceur contrarie les beaux sentiments, c'est ici que traqué par le mal-vivre, le verbe s'accomplissant (le sensorium) succédera au déchet.
Miné par la détestation de la chair, denrée éminemment périssable, poursuivi par l'impérieuse obligation de léguer un esprit durant son passage sur terre, l'homme-poète, l'homme-esprit au corps détérioré se meut au sein d'une recherche alchimique dans laquelle le déchet doit être absous..si possible surmonté, et tant mieux pour nous....pauvres humains qui après lui vivons..
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Ne pas réussir à rendre la chair immortelle n'est pas en soi un échec tant que le sensorium d'un Michel-Ange, d'un Pouchkine, d'un Nietzsche -d'un Baudelaire en l'occurrence- peut se transmettre sans que la chair n'ait été forcément indispensable et ne soit seule l'artisan de ce miraculeux ouvrage nommé sensorium.
Bien que nous n'ayons encore jamais vu un esprit vivre et survivre de la sorte à un corps déchu, sauf dans ce cas précis des damnés de la chair, où la hantise continuelle de la déchéance et son aboutissement, la mort, n'ôte rien au sensorium, parce que le sensorium a la capacité de traverser les apparences, les corps en souffrance, les corps déchus, corps détruits ou déments, il faut se rendre à l'évidence :
C'est ici le paradoxe de la déchéance physique prouvant que la décomposition (et son sentiment corollaire la hantise) n'est en soi qu'une absurdité,tout juste bonne à susciter de la douleur prédominante chez l'humain, alors qu'elle ne supprime pas le maintien perpétuel de l'esprit à travers le Temps. la chair est triste, soit....et l'esprit....
L'esprit, rendons-lui cet hommage, ne réclame que son dû.
Copyright : Jean-jacques Dallemand
14 Décembre 2016